Boris de la Higuera
Acteur - Scénariste - Voix Off

LA ZONE DE MINUIT

Olivia, rongée par la culpabilité après avoir causé le coma d’une fillette, s’exile sur la côte atlantique. Lorsqu’une vision marine bouleverse sa perception du réel, elle s’allie à un marginal mystique pour accomplir l’impossible : guérir l’enfant… quitte à commettre l’irréparable.

Note d'Intention

« La Zone de Minuit » raconte l’histoire d’Olivia, une jeune femme en quête de rédemption, rongée par la culpabilité après un accident de voiture qui a failli lui coûter la vie et a plongé un enfant dans le coma. Hantée par cet événement, elle cherche refuge sous l’eau, un lieu où elle ressent une sensation d’apaisement et d’isolement. Dans cet espace, le tumulte de ses émotions s’apaise, et le monde extérieur semble disparaître.

Ce sentiment d’intimité et d’isolement est au cœur du film. Il s’exprime à travers les séquences aquatiques, mais aussi par la nuit, omniprésente dans l’histoire. Ces moments suspendent le temps et les problèmes, créant un cocon où tout reste à la surface. À travers ce prisme, le film explore les thématiques de la culpabilité, la rédemption, la solitude et la quête de sens.

L’ambiance du film est pensée pour refléter le parcours intérieur d’Olivia. La majeure partie de l’histoire se déroule de nuit, avec une esthétique onirique qui construit un monde envoûtant entre mystère et silence, propice à l’introspection. La mer et les profondeurs deviennent des personnages à part entière, enveloppant Olivia et le spectateur dans une atmosphère à la fois apaisante et troublante. L’objectif est d’immerger le spectateur dans un état singulier, semblable à celui ressenti lorsqu’on plonge dans une œuvre d’art sensorielle, qu’il s’agisse des films de David Lynch ou d’un album des Pink Floyd.

Les baleines, avec leur chant venu d’un autre monde, jouent un rôle central dans cet univers. Elles incarnent des guides spirituels, une force cosmique mystérieuse, et deviennent des symboles d’espoir et de rédemption. Elles offrent à Olivia une connexion entre les profondeurs de l’océan et celles de son âme. Étant moi-même fasciné depuis toujours par ces cétacés, j’ai voulu capturer leur présence mystique et énigmatique en les intégrant dans les visions d’Olivia. Ces séquences oniriques, presque picturales, amplifient le sentiment d’étrangeté et de poésie, un peu comme ont pu le faire David Lowery dans “The Green Knight” ou Robert Eggers dans “The Lighthouse”.

Bien que le film aborde des sujets complexes comme la dépression, la culpabilité, le suicide et la mort, il maintient un équilibre grâce à des moments d’humour et des personnages excentriques, comme Joshua. Ce contraste apporte une légèreté nécessaire et ancre l’histoire dans une humanité universelle et palpable.

Enfin, La Zone de Minuit explore un champ plus ésotérique : le plan astral, les fréquences de guérison, la réincarnation, et la loi de l’équilibre. Ces éléments tissent une trame mystique qui enrichit l’histoire d’Olivia et lui confère une dimension cosmique et spirituelle.

Ce film aspire à être une expérience sensorielle et introspective. Issu d’un premier travail en bande dessinée, j’ai toujours imaginé cette histoire comme une œuvre cinématographique, qui trouve à mon sens tout son potentiel dans le format du long-métrage. Les dessins qui accompagnent ce dossier sont les vestiges de ces recherches visuelles et donnent un aperçu du ton et de l’ambiance du film.

Mon ambition est de construire une histoire qui invite le spectateur à plonger littéralement et métaphoriquement dans l’univers d’Olivia et les nuits d’Isle-Madeleine. 

Synopsis

Hantée par un accident de voiture qui a bouleversé sa vie, Olivia, une femme dans la trentaine, quitte tout pour s’installer à Isle-Madeleine, le village côtier isolé où s’est déroulé le drame. Cet accident, survenu par une nuit de pluie torrentielle, a laissé des séquelles indélébiles : une jambe gravement blessée, des cicatrices psychologiques profondes, et surtout, la culpabilité insoutenable d’avoir plongé Lou, une fillette qui sortait de l’école, dans un coma dont elle pourrait ne jamais se réveiller.

À Isle-Madeleine, le passé d’Olivia la suit comme une ombre. Les habitants, au courant de l’accident, la regardent avec mépris, certains allant jusqu’à la harceler ouvertement. Accueillant cette hostilité comme un châtiment mérité, elle persiste, travaillant comme caissière dans une station-service pour subvenir à ses besoins tout en envoyant régulièrement une partie de son salaire à la famille de Lou. Ces gestes, qu’elle espère réparateurs, sont rejetés avec colère par les parents de la fillette, renforçant son sentiment d’impuissance.

Olivia trouve un semblant de soutien chez Pablo, un kinésithérapeute patient et pragmatique qui l’aide à rééduquer sa jambe blessée. Bien qu’il développe des sentiments pour elle, leur relation reste complexe : Olivia, enfermée dans sa culpabilité, refuse de s’ouvrir. 

Une nuit, Olivia aperçoit une baleine au large d’Isle-Madeleine. Une vision rare, d’autant plus que Pablo lui explique qu’il n’y a plus de baleines dans la région depuis plus de vingt ans. Pourtant, Olivia est certaine de ce qu’elle a vu. Elle se met à ressentir une connexion profonde et inexplicable avec cet animal.

Peu après, Olivia rencontre Joshua, un homme solitaire et excentrique qui arpente les plages avec un détecteur de métaux. Immense et intimidant au premier abord, Joshua est un collectionneur compulsif d’objets trouvés, qu’il considère comme des fragments d’histoires oubliées. Malgré un passé trouble marqué par des délits mineurs et un séjour en prison, Joshua partage avec Olivia une sensibilité unique et une croyance en des forces invisibles qui régissent le monde. Il est le seul à croire en son lien avec les baleines, qu’il décrit comme les « cantatrices de l’univers », des créatures capables de rétablir l’harmonie dans un monde déséquilibré.

Alors que son obsession grandit, Olivia se heurte de plus en plus à Pablo, qui reste ancré dans la rationalité. Lorsqu’il décide de l’emmener en mer dans le vieux bateau de pêche de son oncle pour rechercher la fameuse baleine, leurs divergences s’exacerbent. Après des heures infructueuses passées à scruter l’océan, Pablo décide de rentrer au port. Mais Olivia aperçoit finalement la baleine et, poussée par une force qui la surpasse, saute par-dessus bord.

En coulant vers les abysses, Olivia fait face à une baleine colossale, dont le chant vibratoire résonne en elle comme une onde de choc. Elle est repêchée in extremis par Pablo, furieux et épuisé. De retour au port, Olivia regarde sa jambe : elle n’a plus aucune douleur.

Elle raconte son expérience à Joshua, celui-ci est convaincu que le chant des baleines détient un pouvoir de guérison. Il commence alors à croire que ces chants pourraient être la clé pour sauver Lou et offrir à Olivia la rédemption qu’elle cherche désespérément.

Bien qu’une tendresse naît entre Olivia et Pablo, elle comprend qu’il n’acceptera jamais ses idées, qui dépassent le rationnel. Elle se tourne alors vers Joshua, qui l’encourage à suivre son intuition. 

Ensemble, Olivia et Joshua s’introduisent dans l’hôpital où Lou est soignée. Malgré des complications, ils parviennent à enlever la fillette et fuient vers le port. Ils montent à bord du vieux bateau de pêche de l’oncle de Pablo et s’éloignent dans les eaux calmes de l’océan, alors que les sirènes des garde-côtes retentissent au loin.

 

Au large, le bateau s’arrête. Olivia, portant Lou dans ses bras, s’enroule d’une ceinture de poids et plonge dans les profondeurs de l’océan. Tandis qu’elle descend, une baleine colossale émerge de l’obscurité, son chant vibrant à travers le corps d’Olivia. Sous l’effet de ces vibrations, Olivia relâche Lou, qui flotte doucement vers la surface.

Sur le bateau, Joshua observe, impuissant, tandis que les garde-côtes arrivent et l’arrêtent. Lou est repêchée par les secours et, contre toute attente, reprend conscience après des efforts de réanimation. Elle ouvre les yeux pour la première fois depuis l’accident. Mais Olivia ne refait pas surface.

Alors que le soleil se lève, baignant la mer d’une lumière dorée, Joshua, menotté à bord du bateau des garde-côtes, aperçoit au loin une baleine brisant les vagues.

Les Personnages

Olivia

Olivia s’est installée dans la ville d’Isle-Madeleine après un accident de voiture traumatisant qui lui a fait vivre une expérience de mort imminente. Durant l’accident, elle a également heurté un enfant, plongé dans le coma. Suite à cet événement qui a bouleversé sa vie, elle décide de s’installer en ville malgré l’hostilité des habitants. Elle rompt tout lien avec sa vie d’avant et ne répond même plus aux quelques messages que lui envoie sa mère.
Olivia s’enferme dans sa bulle et semble anesthésiée par la vie. Elle cherche la rédemption en travaillant comme caissière dans une station-service afin de reverser une partie de ses revenus à la famille de l’enfant qu’elle à percuté.
Un des rares liens qu’elle entretient est une relation avec Pablo, un kiné en charge de la rééducation de sa jambe, blessée lors de l’accident. Petit à petit Pablo cherche à approfondir sa relation avec elle mais fait face au mur émotionnel qu’est Olivia.
La seule façon qu’elle à trouvée pour ressentir un semblant de paix, est en cherchant à retrouver la sensation de calme qu’elle a ressentie lors de son expérience de mort imminente. Cette paix semble se trouver sous l’eau, où ses problèmes et sa culpabilité restent à la surface et semblent s’apaiser.
Lorsqu’elle aperçoit une baleine en mer, elle ressent une connexion avec l’animal. Une connexion aussi intense que celle qu’elle a ressenti lors de l’accident.
Olivia mène une existence solitaire, empreinte de tristesse, mais trouve du soutien auprès de Pablo, qui l’aide à guérir physiquement, et de Joshua, un habitant solitaire du village qui croit en sa connexion mystique avec les baleines. La relation entre ces personnages contribue à façonner le cheminement de rédemption d’Olivia, tant sur le plan physique que spirituel.

Pablo

Pablo est un kinésithérapeute de 35 ans vivant à Isle-Madeleine, sa ville natale. Il a grandi dans la région et n’a quitté la ville que pour poursuivre ses études, revenant ensuite y établir sa pratique. Son travail consiste en des consultations à domicile, dans son cabinet, et parfois à la piscine municipale où il assure la surveillance des baigneurs et utilise les installations le soir, après la fermeture, pour des séances de rééducation.
Pablo a une approche pragmatique et terre à terre de la vie. Face à l’accident d’Olivia, il adopte une attitude nuancée, refusant de condamner de manière catégorique.
Pablo se met à développer des sentiments pour Olivia alors que celle-ci reste à la surface et évite de s’engager plus loin qu’une relation physique. Mais bien que celui-ci ait envie de l’aider, il reste sceptique face aux sujets plus spirituels. Lorsqu’Olivia aborde des thèmes qui vont au-delà de la rationalité, il rejette ses idées, ce qui oblige Olivia à chercher du soutien ailleurs.

Joshua

Joshua est un homme de 45 ans. Il est immense, ce qui peut intimider au premier abord. Cependant, il mène une vie solitaire, préférant sortir la nuit en évitant les rencontres pendant la journée. Il se promène souvent sur la plage accompagné de son détecteur de métaux qu’il utilise pour déterrer des objets oubliés dans le sable. Lorsqu’Olivia le rencontre, Joshua se révèle être un individu sensible et poétique, exprimant un profond sens de la spiritualité. Il prend grand soin de son espace de vie, créant un écosystème équilibré avec chaque objet trouvé ayant sa place.
Joshua est le seul à croire en la connexion d’Olivia avec les baleines, acceptant de l’aider et semant le trouble dans l’esprit d’Olivia. Cependant, même lorsque le passé sombre de Joshua est révélé, le choix d’Olivia est fait et il est déjà trop tard pour faire marche arrière.

Traitement

Le film s’ouvre sur des images sous-marines, dévoilant un spectacle hypnotisant : une voiture engloutie s’enfonce lentement dans les profondeurs de l’océan. Les phares encore allumés diffusent une lumière vacillante qui peine à percer l’obscurité environnante. À travers les vitres brisées, des fragments de verre dérivent, illuminés brièvement par les faisceaux des phares.

Un peu plus loin, une femme flotte, immobile, ses cheveux ondulant doucement autour de son visage inconscient. Son visage paisible et son corps suspendu dans cet espace silencieux, éclairé par la lumière spectrale de la voiture qui continue sa descente.

Pendant ce ballet aquatique, une voix off masculine et fluette se fait entendre, illustrant ces images :

« Sous la surface, au-delà des 1000 mètres de profondeur, il existe un endroit dominé par la nuit. La pression y est si écrasante que rien ne peut s’en échapper. Pas même la lumière. Comme un trou noir au fin fond du cosmos. Seules quelques espèces endémiques ont trouvé refuge dans cet éternel crépuscule. Un royaume inexploré où règne le silence. Ici, la seule lueur qui nous parvient est inévitablement engloutie par les ténèbres.« 

Alors que la voix s’estompe, une forme immense, sombre, passe devant la caméra, obscurcissant l’écran.

NOIR

 

TITRE : La Zone de Minuit.

 

CUT

 

Nous sommes à la campagne, devant une petite maison en pierre. La pluie tombe à verse, et la nuit commence à tomber. Une voiture – la même que celle aperçue plus tôt – est garée devant le portail. Son coffre est grand ouvert.

 

Soudain, une femme d’une trentaine d’années surgit de la maison, un carton dans les bras. C’est OLIVIA. Elle se précipite vers la voiture pour charger le coffre, visiblement contrariée. Le coffre déborde déjà d’affaires, et elle peine à tout y faire rentrer. Derrière elle, une femme plus âgée sort également de la maison : c’est la mère d’Olivia. Toutes deux sont trempées par la pluie battante. Olivia, obstinée, multiplie les allers-retours pour charger ses affaires, tandis que sa mère tente de la persuader de rentrer à l’intérieur. Leur échange laisse deviner une dispute autour de leur père et de son décès récent. Mais Olivia refuse d’écouter. Une fois ses affaires chargées, elle démarre la voiture, malgré les supplications de sa mère, qui la met en garde contre les dangers de prendre la route par un tel temps.

Olivia roule sur une route battue par une pluie torrentielle. Les gouttes martèlent son pare-brise, réduisant sa visibilité à presque rien. La nuit est tombée, et les phares de sa voiture percent à peine les rideaux d’eau. Elle serpente sur des routes côtières, l’Atlantique se devinant au loin, ses vagues s’écrasant contre la côte. À l’intérieur, Olivia est trempée. Secouée par sa dispute avec sa mère, elle lutte pour reprendre son calme, au bord des larmes. Brusquement, elle pousse un cri de rage, frappant son volant, alors qu’elle entre dans un petit village nommé Isle-Madeleine.

Pendant ce temps, un groupe d’enfants sort de l’école. Âgés de 10 à 12 ans, iels portent de gros imperméables et se disent au revoir sous la pluie, s’échangeant fièrement des bracelets en scoubidou fabriqués dans la journée. L’une d’elleux, une jeune fille prénommée LOU, trottine le long du trottoir en direction de la côte, absorbée par son nouveau bracelet qu’elle admire.

De son côté, Olivia, encore à fleur de peau et à moitié aveuglée par la pluie, continue sa route. Lou, distraite par son nouveau bijou, traverse la route sans regarder. Olivia, surprise, aperçoit l’enfant trop tard. Elle donne un brusque coup de volant pour l’éviter. Sa voiture heurte violemment la glissière de sécurité, franchit le bord de la falaise et s’écrase dans les vagues en contrebas.

La voiture commence à sombrer dans l’océan. À l’intérieur, Olivia panique alors que l’eau s’infiltre rapidement dans l’habitacle.

Sur la route, des passants accourent en direction de la petite Lou, au sol, en appellant à l’aide.

Sous l’eau, Olivia lutte pour sa vie. Totalement immergée, elle retient son souffle et frappe désespérément la vitre pour la briser. Finalement, elle parvient à s’extraire, mais sa jambe est bloquée par les pédales déformées. En tirant, elle se lacère la jambe sur un morceau de métal tranchant. Un cri silencieux traverse ses lèvres sous l’eau. Malgré la douleur, elle parvient à se libérer et s’échappe de la voiture. La surface semble si loin. À bout de souffle, elle ferme les yeux.

Sur la route trempée, la pluie s’abat sur le petit bracelet en scoubidou abandonné sur le sol, à quelques pas du lieu de la tragédie.

CUT

Olivia, les yeux cernés, est adossée au mur de la piscine municipale de l’Isle-Madeleine. Une clope à la main, elle fume en silence. Sa jambe gauche est soutenue par une attelle, et une béquille repose à ses côtés. Le soleil couchant et le débardeur blanc d’Olivia nous font comprendre que quelques mois se sont passés depuis l’accident et l’été commence à poindre le bout de son nez.

En face d’elle, des habitants de la ville passent en la fixant avec insistance. Certains murmurent entre eux, d’autres la regardent avec mépris, n’hésitant pas à lui lancer des insultes ou à lui dire qu’elle n’a rien à faire là. Mais Olivia reste impassible à leurs remarques, tirant calmement sur sa cigarette.

Au bout de quelques instants, un homme d’environ 35 ans fend l’atmosphère. C’est Pablo. Une table de massage pliante est sanglée à son épaule. Contrairement aux autres, il semble indifférent au tumulte. Il se contente de lui lancer qu’elle ferait mieux d’arrêter de fumer avant de lui ouvrir la porte de la piscine et de l’inviter à le rejoindre au bord du bassin.

Dans le vestiaire, Olivia se déshabille, restant en sous-vêtements. Elle se contemple dans le miroir. Une immense cicatrice court le long de sa jambe. 

À l’extérieur, Pablo a installé sa table de massage près du bassin en plein air, la douceur de la température rendant l’endroit agréable. Il invite Olivia à s’asseoir, examine sa jambe et lui confie, perplexe, qu’à ce stade elle ne devrait plus avoir besoin de béquilles pour marcher. Il décide alors de commencer une séance de rééducation aquatique.

Dans l’eau, Olivia s’accroche au bord du bassin, exécutant laborieusement des mouvements simples avec sa jambe. La douleur est intense, et chaque répétition lui coûte. Pablo, patient, l’encourage et compte à voix haute. Après vingt mouvements, Olivia, épuisée, lâche prise et s’effondre sur le dos dans l’eau. Sous le regard amusé de Pablo, elle se laisse flotter.

Peu à peu, Olivia s’abandonne au liquide qui l’entoure. Elle s’immerge complètement, descendant lentement vers le fond de la piscine. Son visage, apaisé, reflète un état de calme absolu. La douleur s’évanouit, tout comme le reste. Il ne reste que l’obscurité.

D’un coup, Olivia est ramenée à la surface. Pablo a plongé pour la sortir de l’eau. Elle tousse violemment, cherchant son souffle, tandis qu’il l’aide avec une douceur empreinte d’inquiétude. Il la tient par les épaules, son regard interrogateur cherchant une explication. Mais Olivia ne l’entend pas, encore perdue dans ses pensées.

Elle lève les yeux vers lui. Le temps semble suspendu.

Alors, sans prévenir, elle l’embrasse.

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Une station-service à la périphérie de la ville. Sous le comptoir de la caisse, le téléphone d’Oliva sonne en vibreur. A l’écran est affiché “Maman”. Un doigt glisse sur l’écran, refusant l’appel. On aperçoit rapidement “6 appels manqués” avant de découvrir sur un plan plus large, Olivia, assise derrière la caisse enregistreuse, encaisse un client avec un visage fermé, dénué de toute émotion. Sans enthousiasme, elle murmure un merci mécanique. 

Son patron, MOURAD, un homme d’une cinquantaine d’années, observe la scène depuis le fond de la boutique. Agacé, il lui lance, un brin moqueur qu’elle pourait au moins faire semblant d’avoir un sourire lorsqu’elle encaisse un client

Olivia lève à peine les yeux, répondant d’un air faussement désolé. Mourad pousse un soupir avant de lui indiquer que sa paye est dans une enveloppe sous la caisse.

Sans un mot, Olivia attrape l’enveloppe, l’ouvre et compte les billets. Mourad, habitué à ce rituel, la regarde faire sans surprise. Une fois les billets comptés, Olivia en extrait environ un tiers avant de replacer le reste dans l’enveloppe, qu’elle referme d’un geste détaché.

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La nuit commence à tomber. Olivia avance péniblement, la béquille dans une main, l’enveloppe pleine de billets dans l’autre. Sortie de sa journée de travail, elle boitille en direction de la plage. Son chemin la mène à une maison isolée, dont les fenêtres illuminées projettent une lumière chaleureuse dans l’obscurité.

Arrivée devant la porte d’entrée, Olivia ouvre la boîte aux lettres et s’apprête à y glisser l’enveloppe. Mais avant qu’elle ne puisse le faire, la porte s’ouvre brusquement. Une lumière jaune éclaire son visage, figé comme un lapin pris dans les phares d’une voiture.

Un homme apparaît dans l’embrasure, visiblement furieux. D’un ton sec, il l’arrête : “On vous a déjà dit de ne plus revenir ici !” – On comprend qu’il s’agit du père de Lou.

Pour la première fois, Olivia semble laisser transparaître une vive émotion. D’une voix tremblante, elle rétorque qu’elle veut simplement aider, tendant l’enveloppe en direction de l’homme.

Une femme surgit à son tour, attirée par l’échange. Elle comprend immédiatement la situation. Le père, excédé, arrache l’enveloppe et la jette au visage d’Olivia.

On ne veut pas de votre aide !” lâche-t-il durement. “Foutez le camp et laissez-nous tranquilles !

La porte claque violemment, laissant Olivia seule dans l’obscurité.

Olivia ramasse lentement l’enveloppe tombée au sol. Malgré tout, elle la glisse dans la boîte aux lettres avant de se tourner vers la plage.

Sous la lumière de la lune, une légère brise fait danser ses cheveux tandis qu’elle avance vers le bruit des vagues. Arrivée au bord de l’eau, elle dépose sa béquille dans le sable, retire son atèle et commence à se déshabiller. Au sol, son téléphone sonne à nouveau : Sa mère essaye encore de la joindre. 

Olivia est en sous-vêtements, ignorant l’appel, elle boite jusqu’à la mer. Ses pas s’enfoncent dans le sable humide.

Elle entre dans l’eau, sentant les vagues fraîches caresser sa peau. Pas à pas, elle s’éloigne du rivage. L’eau monte progressivement, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus toucher le fond. Sans hésiter, elle plonge sous la surface.

La caméra reste à la surface, scrutant les ondulations tranquilles là où Olivia a disparu. Puis, soudain, elle émerge, haletante, aspirant de longues bouffées d’air. Épuisée, elle éclate en sanglots, ses pleurs se mêlant au bruit des vagues.

Mais quelque chose attire son attention. Au loin, vers l’horizon, une immense queue frappe l’océan avec majesté. Une baleine. Olivia reste figée, hypnotisée par cette apparition.

Un bip régulier brise le silence, ramenant Olivia à la réalité. Sur la plage, un détecteur de métaux scanne le sable. La machine est tenue par une silhouette massive : JOSHUA. Grand, imposant, coiffé d’un bonnet de docker et sanglé d’une demi-douzaines de bananes et autres sacoches. Il porte sur son dos un sac volumineux rempli d’objets en tout genres, ajoutant à son allure étrange.

Joshua s’approche des affaires d’Olivia abandonnées sur la plage. Nonchalamment, il passe le détecteur de métaux dessus, puis s’empare de la béquille, qu’il fourre dans son sac à dos.

Voyant la scène, Olivia crie, sa voix brisant le calme de la nuit. Elle hurle que ce sont ses affaires, tentant de regagner la plage. Mais le courant et sa jambe blessée ralentissent sa progression. Quand elle atteint enfin le rivage, Joshua est déjà parti.

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Trempée jusqu’aux os, Olivia avance péniblement dans les rues désertes de la petite bourgade. Chaque pas sur sa jambe gauche est une torture, transformant un trajet de dix minutes en une épreuve interminable. Elle progresse, seule, enveloppée par le silence du village. Seuls quelques chats errants croisent son chemin, témoins silencieux de sa douleur.

Épuisée, Olivia s’arrête sous un réverbère. Elle s’assoit à même le sol, serrant les dents et massant sa jambe pour faire passer la douleur. Elle respire profondément, les larmes commencent à monter. En levant les yeux, elle aperçoit la glissière de sécurité brisée, vestige de son accident survenu quelques mois plus tôt. C’est la première fois qu’elle revient sur les lieux.

Rassemblant ses forces, elle se relève et s’approche de la glissière. Face à l’océan, elle observe les vagues s’écraser dans l’obscurité en contrebas. Elle ferme les yeux un instant, laissant le vent salé fouetter son visage.

Son regard se baisse. Juste au bord de la route, enfoui sous des feuilles, un petit éclat de couleur attire son attention. Elle se penche, ramassant l’objet couvert de terre.

C’est le bracelet en scoubidou.

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Après un retour laborieux, elle atteint enfin son appartement. Petit, presque vide, avec quelques meubles fonctionnels mais aucune trace de décoration. L’espace est froid et impersonnel.

Olivia vide ses poches sur la table du salon : quelques billets, un trousseau de clés, son téléphone, et le bracelet en scoubidou.

Rapidement, elle consulte ses messages et voit plusieurs vocaux de sa mère. Hésitante, elle finit par appuyer sur « play« .

La voix de sa mère envahit la pièce, douce mais teintée d’inquiétude. Elle veut savoir comment elle se sent, si sa jambe va mieux… Qu’elle se sent impuissante et veut l’aider et qu’elle se demande si elle ne va pas vendre la maison maintenant qu’elle est toute seule à l’intérieur, c’est trop grand pour elle. Elle s’inquiète pour Olivia.

Pendant que les messages vocaux jouent en fond, Olivia retire son attelle avec précaution avant de faire couler un bain. Elle se déshabille lentement, laissant tomber ses vêtements au sol, puis s’immerge dans l’eau chaude. Son corps se relâche, mais son regard reste fixé sur le plafond. Vide. Déconnectée.

Elle ferme les yeux et glisse doucement sous la surface. L’eau l’engloutit, enveloppant ses sens d’un calme absolu. Plus de vocaux de sa mère. Plus de douleur. Plus de pensées. Juste l’obscurité.

CUT

Le lendemain, en fin d’après-midi, à la station-service. Olivia termine d’encaisser un client avec un sourire forcé. On reconnait au poignet d’Olivia le petit bracelet scoubidou. Mourad, occupé à faire de la mise en rayon, travaille à quelques mètres.

Olivia l’interpelle d’un ton hésitant : “Mourad, tu crois que je peux partir un peu plus tôt ? J’ai plus de béquille, et ça me prend une éternité pour rentrer.” Mourad se retourne, visiblement embarrassé et s’excuse en lui disant que c’est impossible : “Y’a du monde aujourd’hui, on a besoin de toi.

Il s’éclipse ensuite vers l’arrière-boutique, laissant Olivia seule dans la station déserte. Elle pousse un soupir et sort son téléphone.

Elle rédige un message à Pablo :
“Désolé. Patron relou. On peut décaler la séance de 30-45 min ?”

La réponse arrive rapidement :
“Aïe. Pas possible. Y’a les cours du soir après à la piscine.”

Olivia tape aussitôt :
“Ça me gêne pas. On se met dans un coin pour pas déranger.”

Cette fois, la réponse tarde à arriver. Les points de suspension animés au bas de l’écran témoignent de l’hésitation de Pablo. Après quelques longues secondes, son message s’affiche enfin :
“Moi, ça me dérange.”

CUT

Chez Pablo, dans un petit appartement. Il habite clairement ici mais a transformé une partie de l’appartement en cabinet de kinésithérapie. Le soleil tombe dehors et la lumière dorée du soir se glisse par les fenêtres. 

Olivia est assise sur la table de massage. Pablo est concentré, il examine sa jambe tandis qu’Olivia se plaint de douleur.

T’aurais pas dû forcer comme ça…” réplique Pablo, un peu réprobateur. “Je vais te faire un massage pour te soulager aujourd’hui, mais la prochaine fois, on reprend le renforcement musculaire à la piscine.

Olivia se justifie : “C’est pas ma faute, un type m’a volé ma béquille hier soir à la plage.

Pablo relève la tête, intrigué : “Quel type ?

Un géant avec un détecteur de métaux” lâche Olivia.

Pablo fronce les sourcils, perplexe. “Qu’est-ce que tu faisais sur la plage au milieu de la nuit ?

J’aime bien la nuit, ici. C’est calme.” répond-elle simplement.

Pablo continue de masser sa jambe en silence, mais Olivia reprend, un éclat d’émotion dans la voix : “J’ai vu une baleine hier soir.

Il s’arrête un instant, incrédule. “Une baleine ? Ca fait 20 ans qu’il n’y a plus de baleines dans le coin.” Il lui explique que quand il était était gamin, son oncle l’emmenait en mer sur son bateau de pêche, et c’était déjà un miracle d’en voir à l’époque.

Mais Olivia est sûre de ce qu’elle a vue. 

Pablo ne répond pas, retourne à son travail. Une fois le massage terminé, il range son matériel et sort une nouvelle béquille : “Tiens, fais gaffe de pas la perdre cette fois. Tu devrais essayer de marcher un peu sans chez toi, à petites doses. Mais si ça continue de te faire mal, je te ferai passer un nouveau scanner.

Olivia le remercie. Pablo s’approche, son regard cherchant le sien, et tente de l’embrasser. Olivia esquive, et le geste reste suspendu dans l’air. Touché, il la regarde, décontenancé : “Qu’est-ce qu’il y a ? Tu me fais la gueule ?

C’est quoi qui te dérange ?” demande Olivia.

Rien. Pourquoi ?

Olivia reprend et commence à se rhabiller : “Ça te dérange qu’on te voie avec moi ?

Pablo reste silencieux un instant, avant de soupirer : “Non, mais je vois bien comment les gens te regardent ici… Et j’ai pas envie qu’on me regarde comme ça. J’ai déjà perdu des patients en acceptant de te soigner, mais je m’en fous, c’est des cons.

Elle le fixe du regard : “Si t’as honte de moi, tu peux me le dire tout de suite.

Pablo lui explique que non, c’est pas ça… “C’est juste que je comprends pas pourquoi tu restes ici, dans cette ville où tout le monde…

Il cherche ses mots, mais Olivia les trouve pour lui :

…me déteste.

Elle attrape ses affaires et la béquille, se lève et part en claquant la porte.

CUT

La nuit est tombée, plongeant la plage dans une obscurité paisible, seulement troublée par le bruit des vagues. Olivia est assise à l’endroit où elle était la veille, une cigarette entre les doigts, fixant l’océan. Le vent joue avec ses cheveux tandis qu’elle expire lentement une bouffée de fumée.

Soudain, des bips réguliers brisent le calme. Intriguée, Olivia tourne la tête. À une centaine de mètres, elle aperçoit une silhouette massive : Joshua, l’homme de la veille, armé de son détecteur de métaux. Il avance lentement, scannant méthodiquement le sable.

Il s’arrête, son appareil émettant un son plus rapide. Avec sa main gigantesque, il creuse dans le sable et en extrait une petite voiture en métal. Il la contemple un instant avant de la glisser dans l’une des nombreuses bananes qui ceinturent son corps imposant. Après avoir frotté ses mains pour se débarrasser du sable, il se retourne et commence à repartir.

Olivia observe la scène, bouche bée, incapable de détourner les yeux. Voyant l’homme s’éloigner, elle prend une décision impulsive. Elle se lève, en s’appuyant sur sa nouvelle béquille, et commence à le suivre.

Elle marche aussi discrètement que possible, suivant le géant à travers les ruelles sombres de la ville. Mais pour tenir le rythme, elle force à nouveau sur sa jambe blessée. La douleur revient, vive et insupportable. Elle serre les dents, déterminée, et continue malgré tout.

Au détour d’une rue, Joshua disparaît. Olivia accélère, pressée de ne pas le perdre. Elle tourne à l’angle et s’arrête net, son souffle coupé.

Le corps immense de Joshua se dresse devant elle, dominant tout l’espace. Sa tête lui semble à peine atteindre son nombril. L’homme la fixe de ses yeux curieux. Un silence lourd s’installe. Puis, d’une voix fluette, il brise l’atmosphère : “Oui ?

NOIR

Olivia est sous l’eau, dans les mêmes vêtements que lors de son accident. La scène est exactement la même. Sauf qu’à la place de la voiture, en face d’elle se dresse un immense baleine. 

CUT

Nous sommes dans une petite maison de pêcheur. L’endroit est un véritable cabinet de curiosités. Partout où le regard se pose, des objets s’entassent, s’alignent ou s’exposent fièrement sous des cloches de verre, comme dans un musée. Olivia, debout près du buffet, est captivée. Au-dessus, un immense harpon est suspendu au mur, imposant et énigmatique. Elle le fixe, comme hypnotisée par sa présence.

Les Inuits pensaient que les baleines représentaient les âmes des personnes perdues en mer.

La voix douce et fluette de Joshua la fait sursauter. Elle se retourne. Il se tient dans l’ombre du couloir, immense, tenant dans une main l’ancienne béquille d’Olivia. Il jette un regard vers la tasse fumante posée sur la table.

Vous n’aimez pas le thé au jasmin ?

Olivia bafouille, confuse : “Si… pardon, j’étais ailleurs.

Elle s’installe à table, tandis que Joshua pose la béquille contre le rebord : “J’ai mis du temps à la retrouver. Elle s’était cachée derrière la mélancolie. Ça fait un moment que je n’ai pas fait le tri là-bas.

Il se sert une tasse de thé et poursuit, comme si c’était une conversation tout à fait naturelle : “Qu’est-ce que vous essayez de fuir ?

Olivia reste sans voix, ne sachant que répondre. Mais Joshua n’attend pas : “Vous êtes la première personne à venir réclamer un de mes objets.

C’est ma béquille, à la base” rétorque Olivia, un brin ironique.

Joshua pointe du doigt sa nouvelle béquille, appuyée contre la chaise : “Alors pourquoi l’avez-vous remplacée si vite ?

Olivia sourit légèrement : “Parce que j’en ai besoin pour marcher.

Joshua se déplace vers le buffet, jetant un regard pensif sur les objets accumulés : “Cet endroit est rempli d’objets indispensables qui ont tous été remplacés.

Il ouvre l’une de ses bananes et en sort la petite voiture en métal : “Prenez cette petite voiture. Elle a sûrement fait pleurer l’enfant qui l’a perdue, avant qu’il ne se console avec un nouveau jouet.

Il désigne ensuite une bague posée sur une étagère.

Cette bague… Je n’ose imaginer la panique de la femme qui l’a perdue. Son mari a sans doute dû lui en offrir une nouvelle pour apaiser les choses.

Enfin, il se tourne vers le harpon accroché au mur.

Et ce harpon. Autrefois, il faisait la fierté de celui qui le brandissait. Aujourd’hui, il n’est plus qu’un souvenir d’une époque révolue.

Il pose son regard sur Olivia : “Il a d’ailleurs l’air de vous fasciner. Est-ce que ça vous embête de me partager les émotions qu’il suscite en vous ?

Olivia, déconcertée, bredouille : “Non… C’est pas tellement le harpon en lui-même, mais… Vous allez trouver ça stupide…

Joshua boit une gorgée de thé, imperturbable : “On confond souvent la stupidité avec l’incertitude.

Olivia continue : “Non, mais c’est juste que ça me fait penser à la baleine que j’ai vue le soir où vous m’avez volée ma béquille.

Joshua relève brusquement la tête, incrédule.

Oh, je le savais !

Il bondit de sa chaise, manquant de renverser les tasses sur la table. “Je sentais leur énergie ! C’est comme ça depuis plusieurs jours ! Je pensais que c’était une anomalie cosmique !

Il se met à fouiller frénétiquement dans les piles d’objets, perdu dans son délire. Olivia, mal à l’aise, recule sa chaise et tente de se lever discrètement. Le bruit alerte Joshua. Il se retourne, son ombre gigantesque se projetant au-dessus d’elle.

Tu la sens ?! L’énergie ? Tu la sens ?!

Olivia, paniquée, balbutie : “Euh… Oui. Oui… Mais je dois y aller. Merci pour la béquille… Et pour le thé.

Elle attrape ses deux béquilles – l’ancienne et la nouvelle – et se dirige vers la porte.

Attendez.

Joshua la stoppe, sa voix soudain plus calme. Il reprend sa tasse de thé et la porte à ses lèvres : “Désolé pour tout à l’heure. Je ne voulais pas vous effrayer.

Il esquisse un sourire maladroit : “Je suis du genre à me laisser emporter dans les moments de sérendipité.

Il repose sa tasse et ajoute, plus grave : “Je m’occupe de l’équilibre d’un écosystème très complexe. Si ça ne tenait qu’à moi, je vous laisserais partir de bon coeur. Mais ici, si vous voulez prendre, vous devez donner en retour.

Son regard se pose sur la béquille d’Olivia, qui proteste aussitôt : “Mais c’est ma béquille !

Joshua se dirige vers le buffet, indifférent à l’objection : “Ça n’a pas besoin d’être un objet de grande valeur.

Il prend la petite voiture en métal et la tient dans ses grandes mains : “Regardez cette voiture. Rouillée, sale, sans intérêt en apparence. Mais son histoire à elle vient complèter le Grand Récit.

Il la contemple un instant. Olivia, les yeux rivés sur la petite voiture, sent une larme couler le long de sa joue.

CUT

Olivia flotte dans l’océan, inconsciente. Sa voiture aux phares allumés est en face d’elle (là où se tenait précédemment la baleine), coulant au fond de la mer.

CUT

Sur le buffet, est posé le petit bracelet en scoubidou. La caméra recule jusqu’à ce que le petit bijou en plastique ne soit plus qu’un petit élément perdu parmis l’innombrable collection étalée dans la pièce.

CUT

Le lendemain, à la station-service, Olivia est penchée sur son téléphone, tapant un message à Pablo. Elle s’excuse pour son comportement de la veille et lui dit qu’elle aimerait le revoir. Ses doigts hésitent sur les mots. Au moment où elle finir par l’envoyer, un client s’approche de la caisse.

Elle lève les yeux et se fige. Devant elle se tient l’homme à qui elle avait tenté de donner l’enveloppe : le père de Lou.

Un silence lourd s’installe. L’homme soupire profondément, visiblement agacé de la voir, mais il n’a pas le choix : il doit payer.

Pompe numéro trois”, dit-il d’un ton sec, évitant son regard.

Olivia hésite un instant, puis répond doucement : “C’est bon.” 

L’homme fronce les sourcils, déconcerté : “Quoi ?

Vous n’avez pas besoin de payer.”, répond Olivia.

Il comprend immédiatement ce qu’elle essaie de faire et sa mâchoire se crispe. “Non. Je veux payer. Je ne veux pas de votre aide. Ni de votre argent.

S’il vous plaît.”, murmure Olivia, presque suppliée. “Laissez-moi payer. C’est la moindre des choses.

Le père tremble légèrement, sa colère et son émotion le rendant instable. N’ayant pas d’autre solution, il ouvre son portefeuille et, paniqué, en sort une liasse de billets. Il en pose bien trop sur le comptoir, pressé de mettre fin à cette interaction.

Mais Olivia saisit son poignet avant qu’il ne puisse partir : “Reprenez votre argent.”, insiste-t-elle, tendant les billets vers lui.

Lâchez-moi !”, crie-t-il entre ses dents, tentant de dégager sa main.

La tension monte. Olivia, déterminée et dans un état second, continue de le supplier de la laisser l’aider.

La dispute attire l’attention de Mourad, qui accourt en urgence. Il prend immédiatement la mesure de la situation et crie à Olivia de le laisser partir.

Mais Olivia, désespérée, ne l’entend pas. 

Le père, à bout, arrache sa main de l’emprise d’Olivia, le visage déformé par la douleur et la colère : “Si vous voulez vraiment aider, partez et ne revenez plus jamais !

Il quitte la station, bouleversé, les épaules voûtées, sans un regard en arrière.

Olivia reste figée derrière la caisse, les billets encore dans les mains, le regard perdu. Mourad la fixe, incrédule et désemparé. C’est évident : il va devoir la licencier. 

CUT

À l’hôpital de la ville, Olivia est allongée sur une table de radiologie. La machine tourne lentement autour de son genou, émettant un bruit grave et mécanique qui résonne dans la pièce.

Quelques minutes plus tard, elle quitte la salle de radiologie. Dans les couloirs éclairés par une lumière froide, des infirmiers et des membres du personnel en blouse blanche passent à toute vitesse, absorbés par leurs tâches. Olivia avance lentement, presque invisible au milieu de tout ça.

Au détour d’un couloir, elle s’arrête un instant, hésitante. Elle regarde à droite, puis change d’avis et bifurque vers un autre couloir. Celui qui mène au service de pédiatrie.

Elle avance doucement, s’appuyant toujours à l’aide de sa béquille. Soudain, elle s’immobilise et se cache contre le mur. Le père de Lou marche droit devant, deux cafés à la main. Olivia retient son souffle, son cœur s’accélérant à mesure qu’il s’approche.

Mais il ne la voit pas. Il ouvre la porte d’une chambre et disparaît à l’intérieur. Olivia reste figée, les poings serrés, son esprit embrouillé. Après quelques secondes, elle reprend sa route et sort de l’hôpital.

Dehors, Pablo l’attend assis sur un banc. Il lève les yeux vers elle : “Alors ? Comment ça s’est passé ?

Olivia répond simplement : “J’aurai les résultats dans 24 heures.

Elle marque une pause, puis ajoute : “J’ai besoin d’un verre.

CUT

Olivia et Pablo sont attablés dans un petit bar local, deux pintes de bière posées devant eux. L’endroit est presque vide, mais les quelques clients présents ne peuvent s’empêcher de les dévisager. Ils chuchotent, évitent ostensiblement de croiser leur regard tout en leur jetant des coups d’œil furtifs. L’atmosphère est lourde, tendue. Pablo, mal à l’aise, reste silencieux.

Ils boivent en silence, le bruit des chaises et des conversations basses résonnant dans l’espace vide.

Brisant la glace, Olivia finit par demander : “Pourquoi t’es pas comme eux ? Toute la ville me déteste, mais pas toi.

Pablo prend une gorgée de bière, il est pragmatique : “T’as perdu le contrôle de ta voiture, ouais. Mais il pleuvait à torrents, la visibilité était nulle. T’aurais pu rouler plus prudemment, c’est sûr, mais la fillette aurait aussi pu faire attention avant de traverser. Tu sais, j’ai vu assez de patients en rééducation pour savoir qu’il n’y a jamais de gentils ou de méchants dans ce genre d’histoire. Juste des humains qui font des erreurs.

Olivia esquisse un sourire, touchée par ses paroles.

Mais leur moment de calme est interrompu lorsqu’un couple d’une quarantaine d’années s’approche de leur table. La femme fixe Olivia avec un mélange de colère et de dégoût. Elle demande sèchement : “Pourquoi vous êtes encore là ?” 

Olivia, fatiguée, ne veut pas d’embrouille.

Ça se voit que vous n’avez pas d’enfants”, continue la femme. “J’ai ma fille dans cette école. Ça aurait pu être elle !

La tension monte. Pablo tente d’intervenir. Mais la femme, trop remontée, l’ignore et fixe Olivia.

Pourquoi vous refusez de nous laisser tranquilles ?

Olivia se redresse, agacée : “C’est un pays libre, non ? J’ai le droit de vivre où je veux.

Le bar entier les regarde. La femme, outrée par cette réponse, la pointe du doigt : “À cause de vous, il y a une enfant dans le coma ! Ses parents ne savent même pas si elle va se réveiller ! Et vous restez là, à pavaner comme un rappel constant de leur souffrance !

Olivia éclate de rire, un rire nerveux.

Pablo, sentant que la situation va dégénérer, se lève et attrape Olivia par le bras. Il pose quelques billets sur la table avant de la guider vers la sortie.

CUT

Pablo et Olivia arrivent chez Olivia. Le petit appartement vide n’a pas bougé depuis la dernière fois. Pablo aide Olivia à s’installer sur le canapé, l’aidant à s’appuyer sur sa béquille. Une fois assise, elle retire son attelle avec précaution et commence à masser sa jambe endolorie.

Ça va aller ?” lui demande Pablo.

Oui, oui…” murmure Olivia, évitant son regard.

Pablo hésite un instant, puis fait un pas vers la porte.

Olivia l’arrête. Il se retourne, surpris. Elle lui demande de rester.

T’es sûre ?

Oui”, répond-elle, sans hésitation.

Olivia se lève légèrement, s’approchant de lui malgré la douleur. Elle pose une main hésitante sur son épaule, puis l’embrasse. Pablo répond à son baiser, d’abord avec retenue, puis avec plus de douceur.

Le moment est plein de tendresse, et ils finissent par se retrouver dans la chambre, sur le lit. Leurs gestes sont hésitants, vulnérables, mais chargés de désir. La froideur de l’appartement s’efface dans l’intimité qu’ils partagent, et pour un instant, ils oublient le reste du monde.

CUT

La nuit est tombée depuis longtemps. Pablo et Olivia sont allongés, nus, dans le lit. La lumière tamisée des lampadaires à l’extérieur éclaire faiblement la chambre.

Olivia se redresse lentement, glissant ses jambes hors du lit. Elle tend la main vers un paquet de cigarettes posé sur la table de nuit. Pablo, encore à moitié endormi, trace doucement ses doigts le long de sa colonne vertébrale. Elle se retourne et lui offre un sourire discret.

Elle se lève et se dirige jusqu’à la fenêtre. Elle l’ouvre avant de s’allumer une clope.

Dehors, l’océan est à peine visible, une ombre indistincte dans l’obscurité. Olivia fixe l’horizon, son regard perdu dans le mouvement imperceptible des vagues.

Pablo, resté dans le lit, la regarde avec des yeux endormis. Elle est là, debout devant la fenêtre, enveloppée par la lueur orange de sa cigarette, son visage pensif.

Elle tourne la tête vers lui, leurs regards se croisent brièvement. Puis, elle reporte son attention sur la mer.

Après un moment de silence, presque dans un murmure, elle demande :

Ton oncle… il a toujours son bateau de pêche ?

CUT

Le lendemain matin, Olivia et Pablo marchent en direction du port. Le bruit des mouettes accompagne leurs pas. Pablo semble concentré, scrutant chaque bateau aligné le long des quais.

Soudain, il s’arrête, un sourire illuminant son visage. “La voilà !”, dit-il en désignant un vieux rafiot de pêche arborant fièrement le nom Linda” peint en lettres blanches écaillées sur la coque.

Le bateau, visiblement délaissé, montre les marques du temps. Sa peinture s’écaille, et des filets et du matériel de pêche sont entassés çà et là.

Pablo explique : “Mon oncle est parti à la retraite il y a deux ans et n’a jamais pris la peine de le vendre.

Ils montent à bord. L’intérieur est dans son jus. Tout est poussiéreux, un mélange d’objets oubliés et de matériel de pêche laissés en vrac. Pablo se met a fouiller un coin encombré du navire, expliquant que sont oncle cachait toujours une clé quelque part, parmi les filets.

Olivia l’observe, amusée, tandis qu’il remue les filets, les hameçons et autres accessoires usés par le temps. Après quelques minutes, il brandit un petit trousseau de clés rouillées.

CUT

Le bateau s’éloigne du port, s’élançant vers la mer.

Olivia, debout sur le pont, regarde le paysage défiler. Les falaises et les plages glissent doucement sous ses yeux. Le soleil, doux et doré, illumine l’eau scintillante. Le vent joue avec ses cheveux, et un sourire presque imperceptible se dessine sur son visage.

À la barre, Pablo est rayonnant, concentré sur le pilotage. Il semble transporté en enfance alors qu’il manie le bateau comme un souvenir retrouvé.

CUT

Le soleil descend lentement à l’horizon, embrasant le ciel d’orange et de rose. Le bateau est à l’arrêt, bercé par les ondulations tranquilles de la mer. Olivia et Pablo sont assis sur le pont, chacun tenant une bière à la main. Ils regardent le spectacle offert par la nature en discutant, complices. Pablo s’ouvre et raconte qu’il a toujours considéré son oncle comme son père – son propre patriarche souvent absent et violent envers sa mère. Les sorties en mer avaient toujours été une bulle de décompression pour lui.

Après un court silence, Pablo se tourne vers Olvia et lui demande où sont ses parents aujourd’hui. Olivia, gênée, hésite à répondre. Pablo, mal à l’aise, se justifie et explique qu’elle n’a pas besoin de répondre si elle en a pas envie. Olivia profite de l’échappatoire et préfère ne rien dire.

Après un moment, Pablo se lève, se dirigeant vers la cabine : “La nuit tombe. On ferait mieux de rentrer.

Olivia, encore captivée par l’horizon, secoue la tête : “Attends un peu… La mer est calme. Et c’est un bateau de pêche, non ? Il est fait pour partir tôt, ils manœuvrent de nuit tout le temps.

Pablo soupire, secouant la tête. Ca fait des années qu’il n’a pas conduit un bateau. Les manœuvres pour rentrer au port sont compliquées, surtout de nuit. Il préfère ne pas prendre de risques.

Olivia se retourne vers lui, son regard suppliant : “S’il te plaît. J’ai besoin de rester ici, cette nuit.

Pablo est perplexe. Il ne comprend pas d’où vient cette insistance. Olivia hésite à répondre mais elle avoue finalement : “C’est la nuit que je l’ai vue. La baleine.

Pablo la fixe, incrédule : “T’es sérieuse ? Tu es encore sur cette histoire ? Je t’ai dit. Entre le réchauffement de l’océan et la surpêche, il n’y a plus de baleines ici. Elles sont parties depuis longtemps, plus au nord. Si ça se trouve, tu as mal vu.

Mais Olivia sait ce qu’elle a vu. “Elle était là. Et j’ai senti… leur énergie…

Pablo est dépassé par la tournure de la conversation : “Olivia… De quoi tu parles ? Tu parles d’énergie, de baleines qui sont plus là. Ça n’a pas de sens.

CUT

La nuit est tombée, enveloppant le bateau dans un bleu sombre, la mer éclairée par la lune. Pablo marche nerveusement sur le pont, jetant des regards agacés à Olivia : “Ça fait deux heures qu’on est là. C’est bon, non ? Y’a pas une baleine, pas de mouvement. On peut rentrer, là ?

Olivia a les yeux rivés sur l’horizon. Elle veut attendre encore un peu

Pablo soupire, exaspéré, et se dirige vers la cabine pour remettre le moteur en marche. Mais soudain, Olivia sursaute, pointant du doigt l’eau devant eux. Elle l’a vue !

Pablo revient en courant sur le pont, scrutant frénétiquement l’endroit qu’elle désigne. Mais il n’y a rien. Olivia lui jure qu’elle la vu. Elle va revenir.

Pablo, doutant mais curieux, se dirige vers l’arrière du navire pour jeter l’encre. Pendant ce temps, Olivia continue de fixer l’océan. Son regard est intense, presque habité. Elle sait que la baleine est là, quelque part sous la surface. Elle peut la sentir.

Soudain, poussée par une force invisible, Olivia s’approche du garde-corps. Elle pose une main dessus, puis commence à l’escalader, ses mouvements lents mais déterminés.

Pablo revient à l’avant du bateau et son sang se glace en la voyant perchée sur le rebord.

Olivia ! Qu’est-ce que tu fous ?! Descends de là !!

Mais elle ne répond pas. Son regard reste fixé sur l’eau en contrebas, comme hypnotisée par les vagues.

Pablo lui dit de remonter à bord. Sa voix tremble, emplie d’une panique grandissante. Mais Olivia semble ailleurs, comme happée par quelque chose d’invisible.

Et soudain, sans avertissement, elle saute.

Le temps semble se figer alors qu’elle disparaît dans l’eau noire, éclaboussant à peine la surface.

Immergée, Olivia est envahie par un silence absolu. L’eau l’entoure, l’enveloppe dans une étreinte froide mais apaisante. Elle se laisse couler, ses membres flottant avec légèreté.

Elle descend, toujours plus bas, attirée vers les profondeurs. 

La paix. 

Enfin. 

Puis le noir.

NOIR

Olivia flotte dans une étendue infinie, où l’océan et le cosmos semblent être la même chose. Autour d’elle, des bulles scintillent comme des étoiles, traçant des constellations mouvantes, des galaxies qui dansent dans l’obscurité. 

Un chant mélodieux s’élève au loin, éthéré et hypnotique, vibrant à travers les abysses.

Soudain, face à elle, une baleine colossale émerge des ténèbres, majestueuse et imposante. Les deux êtres se tiennent face à face, flottant dans cet espace intemporel.

Olivia avance sa main. Lentement, elle tend ses doigts vers l’animal jusqu’à toucher l’avant de la tête de la baleine, créant un lien invisible entre elles.

La baleine commence alors à chanter. Une vibration profonde, puissante, traverse l’eau – ou l’éther – et frappe le corps d’Olivia de plein fouet. Ses yeux s’ouvrent.

Elle veut pleurer, mais il y a déjà tellement d’eau autour d’elle.

CUT

Olivia est allongée sur le côté. Sur le pont du « Linda« , trempée, elle tousse violemment pour expulser l’eau de ses poumons. Chaque souffle est laborieux, son corps frissonnant tandis qu’elle essaie de reprendre son air. À côté d’elle, Pablo, lui aussi trempé, la regarde avec une expression mêlée de soulagement et de colère : “T’es complètement folle, putain ! Pourquoi t’as fait ça ?!

Olivia reste silencieuse, fixant le sol avec un mélange de honte et de désolation.

Pablo est toujours en colère. Heureusement qu’il était là. Elle aurait vraiment pu se noyer !

Olivia hoche faiblement la tête, incapable de répondre. Elle tremble de froid. Pablo, malgré sa colère, remarque son état et se radoucit légèrement. Il lui ramène une vieille couverture en laine et la drape sur les épaules d’Olivia.

Il décide qu’il est temps de rentrer et se dirige vers l’arrière du bateau pour lever l’ancre.

Le moteur gronde à nouveau, et le « Linda » reprend sa route vers le port. Pablo pilote le navire, tendu. Ses gestes mécaniques trahissent son épuisement.

À l’avant du bateau, Olivia est assise sur un banc. Elle reste immobile, la couverture serrée autour d’elle, méditant sur ce qui vient de se passer. Ses doigts effleurent sa cicatrice au genou. Elle regarde sa jambe : quelque chose a changé.

Le port se dessine à l’horizon, ses lumières tremblant doucement sur l’eau. Pablo manœuvre avec précaution, ramenant le bateau à quai. Une fois amarré, il éteint le moteur et commence à fermer le bateau.

Il revient vers Olivia et l’aide à descendre, tenant son bras pour l’empêcher de glisser. Elle s’agrippe à sa béquille en arrivant sur le quai. Elle attend tandis que Pablo retourne cacher la clé parmi les filets.

CUT

Plus tard, Pablo et Olivia arrivent devant la porte de l’immeuble d’Olivia. Ils ont froid et sont épuisés. Ils s’arrêtent un instant et Pablo demande, hésitant : “Tu veux que je monte avec toi ?” Olivia secoue doucement la tête. Non. Elle a besoin d’être seule. Un mélange de déception et de préoccupation traverse le visage de Pablo. Mais il fini par accepter la situation avant de s’éloigner dans la rue déserte.

Une fois seule, Olivia reste immobile quelques instants devant la porte de son immeuble. Puis, sans un mot, elle lâche sa béquille qui tombe au sol avec un bruit sourd.

Olivia se mets à marcher lentement dans la rue. Pas une trace de douleur, aucune entrave. Pour la première fois depuis l’accident, elle marche librement.

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Le poing d’Olivia frappe la porte en bois de la petite maison de Joshua. La silhouette massive du géant apparaît dans l’embrasure, un sourire s’étirant sur son visage. Sans un mot, il l’invite à entrer, ravi de la revoir.

À l’intérieur, Joshua lui sert une tasse de thé, mais Olivia n’est pas là pour ça. Elle commence à raconter ce qu’elle a vécu : la baleine, leur connexion, le chant. Puis elle montre sa jambe. Elle n’a plus aucune douleur et marche parfaitement. Elle est totalement guérie.

Joshua l’écoute, ses yeux s’illuminant au fur et à mesure. Il parcourt la pièce, agité, sûr de lui : la guérison d’Olivia est liée aux vibrations du chant de la baleine.

Tout dans l’univers, tout, n’est que vibrations. Des ondes électromagnétiques qui dansent au rythme de la musique du cosmos. Nous ne sommes que des harmonies, des fréquences. Et les baleines sont les grandes cantatrices de cet orchestre cosmique.

Joshua continue en expliquant que leurs chants, puissants et anciens, auraient résonné jusque dans la structure de sa jambe, la restaurant entièrement.

Olivia, troublée, a du mal à accepter cette explication. Mais elle ne peut nier ce qu’elle a ressenti et ce qu’elle constate maintenant. Elle lui demande comment il sait tout ça. Joshua, avec simplicité répond : “Je ne sais pas grand chose en vérité. Je ne fait que collectionner des histoires…

Olivia ne peut s’empêcher de sourire, un sourire triste mais sincère : “Je crois que je comprends pourquoi tu es si gentil avec moi. Tu ne sais pas qui je suis.

Joshua hausse les épaules : “Qui tu es m’importe peu. Ce que tu as vécu, en revanche… ça, ça m’intéresse beaucoup.

Il se lève et se dirige vers le buffet, où repose le petit bracelet scoubidou qu’elle avait laissé là. Il le prend délicatement entre ses doigts immenses, ses yeux trahissant une profonde mélancolie : “Ce petit bracelet… Il y a une profonde tristesse en lui. Et pourtant, il est si coloré, si joyeux. C’est devenu l’un des objets préférés de ma collection.

Il se tourne vers Olivia avec un grand sourire, sincère et généreux : “Merci pour ça.

Mais Olivia baisse les yeux, des larmes silencieuses coulant sur ses joues. Elle finit par lâcher, tremblante : c’est sa faute si la fillette est dans le coma. Elle se sent impuissante, rejetée, incapable d’aider.

Joshua pose une main compatissante sur son épaule, absorbant ses mots avec émotion. Puis, d’un geste soudain, il redresse la tête, comme si une évidence venait de lui apparaître. Il regarde Olivia avec une intensité nouvelle : 

Maintenant, tu sais comment tu peux aider.

Olivia ne comprend pas tout de suite ce qu’il insinue. Mais peu à peu, un frisson parcourt son échine, et l’idée qu’il évoque commence à s’imposer à son esprit. Non… ça n’a pas de sens. 

CUT

Le lendemain, Olivia est assise dans la salle d’attente de l’hôpital, un petit ticket entre les doigts. Elle le regarde machinalement, le froissant légèrement.

Soudain, une voix monotone annonce : “Quarante-trois.

Elle se lève et se dirige vers l’accueil. Une jeune femme en blouse blanche l’accueille avec un sourire poli.

Olivia se présente et explique qu’elle est là pour récupérer les résultats d’un scanner de sa jambe.

La réceptionniste consulte son ordinateur avant de lui indiquer la direction du département de radiologie. Un médecin la recevra là-bas.

Olivia la remercie, puis s’engage dans les couloirs de l’hôpital. Elle marche parfaitement, sans hésitation ni douleur.

Arrivée à un croisement, elle s’arrête. Elle jette un regard vers le couloir menant à la radiologie, mais après une brève hésitation, elle tourne dans une autre direction.

Elle se dirige vers le département de pédiatrie, là où elle était passée la veille. Elle avance lentement, vérifiant que personne ne la remarque, et s’approche de la porte par laquelle elle avait vu le père entrer la dernière fois.

Olivia pose son oreille contre la porte pour écouter. Pas un bruit. Lentement, elle appuie sur la poignée et entrouvre la porte.

À l’intérieur, une petite chambre d’hôpital baignée d’une lumière douce. Dans le lit, Lou est allongée, minuscule et fragile. Des câbles et des tubes serpentent autour d’elle, connectés à des machines qui émettent des bips réguliers. Des peluches sont posées tout autour d’elle, et des ballons de baudruche flottent doucement au-dessus, vestiges d’une tentative de réconfort.

Olivia reste figée, ses mains se portant à sa bouche pour étouffer un cri. Son souffle devient court, et ses yeux se remplissent de larmes. Bouleversée, elle recule précipitamment.

Elle referme la porte et s’élance dans le couloir, les émotions l’envahissant. Elle court, fuyant l’hôpital, son cœur battant à tout rompre, incapable de supporter ce qu’elle vient de voir.

CUT

La nuit tombe doucement, enveloppant la piscine municipale d’une lumière tamisée par les lampadaires lointains. Olivia est assise au bord du bassin extérieur, les pieds plongés dans l’eau. Une cigarette se consume entre ses doigts, et son regard est fixé sur son reflet qui vacille à la surface.

Après quelques minutes, Pablo arrive, portant sa table de massage pliable. Il s’arrête en la voyant et fronce les sourcils: “La piscine était ouverte ?

Olivia, sans détourner les yeux de l’eau, répond qu’elle est là depuis deux heures. Elle a profité des cours pour les enfants pour entrer.

Pablo déplie sa table de massage, mais il sent que quelque chose ne va pas. Il finit par s’asseoir à côté d’elle, au bord de l’eau. Il lui demande si elle a eu les résultats de son scanner ?

Olivia regarde son genou, balançant doucement sa jambe dans l’eau.

Tout va bien.”, dit-elle simplement.

Pablo sourit, soulagé. C’est vraiment une super nouvelle.

Mais Olivia ne partage pas son enthousiasme. Son regard reste plongé dans l’eau : “Tu crois qu’on est que des ondes ? Comme les vagues à la surface de l’eau… On passe notre vie à osciller les uns sur les autres, à remuer la flotte en s’éloignant du point d’impact. Complètement inconscients de tout ce qui se passe en dessous.

Pablo la regarde, confus. Elle continue : “On sait qu’il y a un océan à l’intérieur, un truc énorme, mais on reste à la surface. À faire des vagues. Jusqu’à ce qu’on arrive à l’autre bout de la piscine. Et là… plus rien.

Son regard se perd dans l’immensité du bassin.

Parfois, j’ai juste envie de plonger. Passer sous les vagues. Et me laisser couler. J’me dit que comme ça, j’arriverais jamais à l’autre bout de la piscine.

Un silence s’installe entre eux. Pablo cherche ses mots, mal à l’aise face à la vulnérabilité d’Olivia : “J’ai traité un type une fois, il avait perdu son bras droit lors d’un accident d’usine. Il va se trainer ça toute sa vie. Ca a mit des mois. Mais il a appris à écrire de la main gauche. Je veux dire… Je sais que des fois, y’a des trucs dans le corps qu’on peut pas réparer. Je pense qu’il faut juste apprendre a vivre avec. S’adapter. Faire avec ce qu’on a. Du mieux qu’on peux.

Un nouveau silence. Pablo hésite, puis ajoute : “Au fait, j’ai fait des recherches sur ton gars au détecteur de métaux.

Olivia tourne légèrement la tête, intriguée.

Pablo continue : “Tu devrais te tenir loin de lui. Ce type a fait de la prison pour vols répétés. Il est dangereux.

Olivia baisse les yeux, un sourire presque imperceptible sur les lèvres. Elle ne répond rien. Puis, sans prévenir, plonge dans la piscine. L’eau éclabousse légèrement Pablo, tandis qu’Olivia commence à nager des longueurs, traversant le bassin.

CUT

Olivia frappe à la porte de la maison de Joshua. Lorsqu’il ouvre, son immense silhouette masque l’intérieur de la pièce. Son regard est tendre, empathique, mais il perçoit immédiatement la détermination dans les yeux d’Olivia.

CUT 

De nuit, sous le couvert de l’obscurité, Olivia et Joshua s’infiltrent dans les jardins de la petite clinique. Ils avancent furtivement jusqu’à une porte réservée au personnel. Joshua, avec une surprenante dextérité malgré ses mains massives, sort un kit de crochetage d’une de ses bananes. Après quelques instants, le mécanisme cède, et la porte s’ouvre.

Les couloirs de l’hôpital sont calmes, éclairés par une lumière blafarde. Les deux complices progressent silencieusement, se dissimulant dans les ombres à l’approche des rares soignants encore actifs. En tournant dans les couloirs, ils se dirigent vers le département de pédiatrie.

Devant la chambre, Joshua et Olivia ouvrent doucement la porte, projetant leurs ombres imposantes sur le lit d’hôpital. Lou est allongée, inconsciente au milieu des instruments médicaux et des peluches.

Olivia, les mains tremblantes, débranche les câbles et retire les intraveineuses de la fillette. Joshua, avec une facilité déconcertante, soulève le petit corps et l’emporte dans ses bras.

Dans les couloirs, une infirmière croise leur chemin. Elle ne prête d’abord pas attention, mais, en se retournant, elle réalise que quelque chose ne va pas : “Attendez… Vous avez une autorisation pour être là ?

Olivia et Joshua accélèrent le pas, tentant de ne pas paniquer. Mais ce changement de vitesse alerte d’autant plus l’infirmière qui commence à crier pour donner l’alerte.

Les cris résonnent derrière eux, mais ils continuent, courant maintenant, Lou toujours dans les bras de Joshua. Ils déboulent dans les jardins et s’élancent vers le port.

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Devant le « Linda« , Olivia grimpe à bord et fouille frénétiquement parmi les filets. Elle trouve enfin la clé rouillée et démarre le moteur. Le bateau gronde et s’ébranle maladroitement – Olivia n’ayant jamais piloté de bateau de sa vie, elle égratigne plusieurs embarcations voisines dans sa précipitation. Mais ils réussissent à quitter le port et gagnent la mer.

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Sous la lumière de la lune, le « Linda » fend l’eau calme. Joshua tient la fillette dans ses bras, regardant silencieusement le paysage qui défile, tandis qu’Olivia pilote le bateau depuis la cabine.

Finalement, Olivia coupe le moteur et jette l’ancre. Elle rejoint Joshua à l’avant, où ils contemplent la mer, côte à côte.

Au loin, des sirènes lumineuses et le bruit des moteurs des garde-côtes troublent le silence. Leur temps est compté. Olivia s’empare d’une ceinture de poids qu’elle s’enroule autour de la taille. Elle grimpe sur le garde-corps, la mer s’étendant sous elle, sombre et paisible.

Joshua s’approche et lui tend la fillette. Olivia prend Lou contre elle, un geste presque maternel.

Leurs regards se croisent. Joshua lui sourit, empreint d’une immense fierté et d’une infinie tendresse.

Puis, Olivia plonge.

Elle et la fillette disparaissent sous la surface, leur descente rapide, attirées vers les profondeurs par le poids. L’eau devient plus sombre.

Des petites bulles argentées brillent dans l’obscurité.

Puis, Olivia ouvre les yeux. Face à elle, se trouve une immense baleine. Étrangement, à l’image de Joshua, elle aussi semble la regarder avec une profonde empathie. Olivia pose sa main sur la tête géante de l’animal.

Et soudain, la baleine chante, un son profond et vibratoire qui traverse le corps d’Olivia. Sous l’effet des vibrations, ses bras s’ouvrent, laissant Lou flotter vers la surface, portée par les remous. Olivia, quant à elle, se laisse emporter, descendant toujours plus bas, les yeux remplis d’émotions, d’acceptation.

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À la surface, les garde-côtes sont déjà à bord du « Linda« , menottant Joshua. Soudain, l’un d’eux remarque un petit corps flottant sur l’eau : “Là-bas !

Ils repêchent Lou et la ramènent à bord. Un garde-côte commence immédiatement un massage cardiaque. Joshua, malgré les menottes, regarde la scène, retenant son souffle.

Après des secondes qui semblent durer une éternité, la fillette tousse, crachant de l’eau. Elle respire. Les yeux ouvert pour la première fois depuis l’accident. Les garde-côtes se précipitent pour l’aider, lui enveloppant les épaules d’une couverture de survie.

Joshua, les larmes aux yeux. Elle a réussi.

Un autre garde pousse Joshua sur une vedette des garde-côtes. Le géant, docile, s’assoit à l’avant du bateau, fixant l’horizon.

Le soleil commence à se lever, baignant la mer d’une lumière dorée.

Au loin, brisant la surface de l’eau, une baleine apparaît.

FIN